Il carteggio tra Rousseau e Voltaire sul Discours sur l’origine e le fondement de l’inegalité parmi les hommes (1754)

by gabriella

voltaireRousseauDopo averlo pubblicato ad Amsterdam nell’aprile 1755, Rousseau inviò una copia del Discours sur l’inegalitéa Voltaire che, come mostra il volume conservato a San Pietroburgo, lo commentò annotando a margine molte osservazioni pungenti.

Lo storico carteggio che ne seguì fu non meno scoppiettante: «ho ricevuto il suo nuovo libro contro il genere umano, di cui la ringrazio […] nessuno ha mai impiegato tanto spirito per renderci bestie, fa venir voglia di camminare a quattro zampe, ma siccome da più di sessant’anni ne ho perso l’abitudine ..».

«Non aspiro affatto a far tornare l’uomo alla stato animale, per quanto mi rammarichi, per parte mia, del poco che ne ho perduto […] Non cerchi dunque di rimettersi a quattro zampe, nessuno ci riuscirebbe peggio di lei …».

 

Lettre de Voltaire à M. J.-J. Rousseau, 30 août 1755

J’ai reçu, monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain ; je vous en remercie.

Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités, mais vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine, dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolations. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi.

Je ne peux non plus m’embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada : premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l’Europe, et que je ne trouverais pas les mêmes secours chez les Missouris ; secondement, parce que la guerre est portée dans ces pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous. Je me borne à être un sauvage paisible dans la solitude que j’ai choisie auprès de votre patrie, où vous devriez être. Je conviens avec vous que les belles-lettres et les sciences ont causé quelquefois beaucoup de mal. Les ennemis du Tasse firent de sa vie un tissu de malheurs ; ceux de Galilée le firent gémir dans les prisons, à soixante et dix ans, pour avoir connu le mouvement de la terre ; et ce qu’il y a de plus honteux, c’est qu’ils l’obligèrent à se rétracter. Dès que vos amis eurent commencé le Dictionnaire encyclopédique, ceux qui osèrent être leurs rivaux les traitèrent de déistes, d’athées, et même de jansénistes.

Si j’osais me compter parmi ceux dont les travaux n’ont eu que la persécution pour récompense, je vous ferais voir des gens acharnés à me perdre du jour que je donnai la tragédie d’Oedipe ; une bibliothèque de calomnies ridicules imprimées contre moi ; un prêtre ex-jésuite, que j’avais sauvé du dernier supplice, me payant par des libelles diffamatoires du service que je lui avais rendu ; un homme, plus coupable encore, faisant imprimer mon propre ouvrage du Siècle de Louis XIV avec des notes dans lesquelles la plus crasse ignorance vomit les plus infimes impostures ; un autre, qui vend à un libraire quelques chapitres d’une prétendue Histoire universelle, sous mon nom ; le libraire assez avide pour imprimer ce tissu informe de bévues, de fausses dates, de faits et de noms estropiés, et enfin des hommes assez lâches et assez méchants pour m’imputer la publication de cette rapsodie. Je vous ferais voir la société infectée de ce genre d’hommes inconnu à toute l’antiquité, qui, ne pouvant embrasser une profession honnête, soit de manoeuvre, soit de laquais, et sachant malheureusement lire et écrire, se font courtiers de littérature, vivent de nos ouvrages, volent des manuscrits, les défigurent, et les vendent. je pourrais me plaindre que des fragments d’une plaisanterie faite, il y a près de trente ans, sur le même sujet que Chapelain eut la bêtise de traiter sérieusement, courent aujourd’hui le monde par l’infidélité et l’avarice de ces malheureux qui ont mêlé leurs grossièretés à ce badinage, qui en ont rempli les vides avec autant de sottise que de malice, et qui enfin, au bout de trente ans, vendent partout en manuscrit ce qui n’appartient qu’à eux, et qui n’est digne que d’eux.

J’ajouterais qu’en dernier lieu on a volé une partie des matériaux que j’avais rassemblés dans les archives publiques pour servir à l’Histoire de la Guerre de 1741, lorsque j’étais historiographe de France ; qu’on a vendu à un libraire de Paris ce fruit de mon travail ; qu’on se saisit à l’envi de mon bien, comme si j’étais déjà mort, et qu’on le dénature pour le mettre à l’encan. Je vous peindrais l’ingratitude, l’imposture et la rapine, me poursuivant depuis quarante ans jusqu’au pied des Alpes, jusqu’au bord de mon tombeau. Mais que conclurai-je de toutes ces tribulations ? Que je ne dois pas me plaindre ; que Pope, Descartes, Bayle, le Camoens, et cent autres, ont essuyé les mêmes injustices, et de plus grandes ; que cette destinée est celle de presque tous ceux que l’amour des lettres a trop séduits.

Avouez en effet, monsieur, que ce sont là de ces petits malheurs particuliers dont à peine la société s’aperçoit. Qu’importe au genre humain que quelques frelons pillent le miel de quelques abeilles ? Les gens de lettres font grand bruit de toutes ces petites querelles, le reste du monde ou les ignore ou en rit. De toutes les amertumes répandues sur la vie humaine, ce sont là les moins funestes. Les épines attachées à la littérature et à un peu de réputation ne sont que des fleurs en comparaison des autres maux qui, de tout temps, ont inondé la terre. Avouez que ni Cicéron, ni Varron, ni Lucrèce, ni Virgile, ni Horace, n’eurent la moindre part aux proscriptions. Marius était un ignorant ; le barbare Sylla, le crapuleux Antoine, l’imbécile Lépide, lisaient peu Platon et Sophocle ; et pour ce tyran sans courage, Octave Cépias, surnommé si lâchement Auguste, il ne t’ut un détestable assassin que dans le temps où il fut privé de la société des gens de lettres. Avouez que Pétrarque et Boccace ne firent pas naître les troubles de l’Italie ; avouez que le badinage de Marot n’a pas produit la Saint-Barthélemy, et que la tragédie du Cid ne causa pas les troubles de la Fronde.

Les grands crimes n’ont guère été commis que par de célèbres ignorants. Ce qui fait et fera toujours de ce monde une vallée de larmes, c’est l’insatiable cupidité et l’indomptable orgueil des hommes, depuis Thomas Kouli-Kan, qui ne savait pas lire, jusqu’à un commis de la douane, qui ne savait que chiffrer. Les lettres nourrissent l’âme, la rectifient, la consolent ; elles vous servent, monsieur, dans le temps que vous écrivez contre elles ; vous êtes comme Achille, qui s’emporte contre la gloire, et comme le père Malebranche, dont l’imagination brillante écrivait contre l’imagination. Si quelqu’un doit se plaindre de lettres, c’est moi, puisque, dans tous les temps et dans tous les lieux, elles ont servi à me persécuter ; mais il faut les aimer malgré l’abus qu’on en fait, comme il faut aimer la société dont tant d’hommes méchants corrompent les douceurs ; comme il faut aimer sa patrie, quelques injustices qu’on y essuie ; comme il faut aimer et servir l’Être suprême, malgré les superstitions et le fanatisme qui déshonorent si souvent son culte.

M. Chappuis m’apprend que votre santé est bien mauvaise ; il faudrait la venir rétablir dans l’air natal, jouir de la liberté, boire avec moi du lait de nos vaches, et brouter nos herbes.
Je suis très philosophiquement et avec la plus tendre estime, etc.

Réponse à Voltaire le 10 septembre 1755

C’est à moi, monsieur, de vous remercier à tous égards.

En vous offrant l’ébauche de mes tristes rêveries, le n’ai point cru vous faire un présent digne de vous, mais m’acquitter d’un devoir et vous rendre un hommage que nous vous devons tous comme à notre chef. Sensible, d’ailleurs, à l’honneur que vous faites à ma patrie, le partage la reconnaissance de mes concitoyens, et j’espère qu’elle ne fera qu’augmenter encore, lorsqu’ils auront profité des instructions que vous pouvez leur donner. Embellissez l’asile que vous avez choisi : éclairez un peuple digne de vos leçons ; et, vous qui savez si bien peindre les vertus et la liberté, apprenez-nous à les chérir dans nos murs comme dans vos écrits. Tout ce qui vous approche doit apprendre de vous le chemin de la gloire.

Vous voyez que je n’aspire pas à nous rétablir dans notre bêtise, quoique je re­grette beaucoup, pour ma part, le peu que j’en ai perdu. A votre égard, monsieur, ce retour serait un miracle, si grand à la fois et si nuisible, qu’il n’appartiendrait qu’à Dieu de le faire et qu’au Diable de le vouloir. Ne tentez donc pas de retomber à quatre pattes ; personne au monde n’y réussirait moins que vous. Vous nous redressez trop bien sur nos deux pieds pour cesser de vous tenir sur les vôtres.

Je conviens de toutes les disgrâces qui poursuivent les hommes célèbres dans les lettres ; je conviens même de tous les maux attachés à l’humanité et qui semblent indépendants de nos vaines connaissances. Les hommes ont ouvert sur eux-mêmes tant de sources de misères, que quand le hasard en détourne quelqu’une, ils n’en sont guère moins inondés. D’ailleurs il y a dans le progrès des choses des liaisons cachées que le vulgaire n’aperçoit pas, mais qui n’échapperont point à l’œil du sage quand il y voudra réfléchir. Ce n’est ni Térence, ni Cicéron, ni Virgile, ni Sénèque, ni Tacite ; ce ne sont ni les savants ni les poètes qui ont produit les malheurs de Rome et les crimes des Romains : mais sans le poison lent et secret qui corrompait peu à peu le plus vigoureux gouvernement dont l’Histoire ait fait mention, Cicéron ni Lucrèce, ni Salluste n’eussent point existé ou n’eussent point écrit. Le siècle aimable de Lelius et de Térence amenait de loin le siècle brillant d’Auguste et d’Horace, et enfin les siècles horribles de Sénèque et de Néron, de Domitien et de Martial. Le goût des lettres et des arts naît chez un peuple d’un vice  ; et s’il est vrai que tous les intérieur qu’il aug­mente, progrès humains sont pernicieux à l’espèce, ceux de l’esprit et des connais­sances qui augmentent notre orgueil et multiplient nos égarements, accélèrent bientôt nos malheurs. Mais il vient un temps où le mal est tel que les causes mêmes qui l’ont fait naître sont nécessaires pour l’empêcher d’augmenter ; c’est le fer qu’il faut laisser dans la plaie, de peur que le blessé n’expire en l’arrachant. Quant à moi si j’avais suivi ma première vocation et que je n’eusse ni lu ni écrit, j’en aurais sans doute été plus heureux. Cependant, si les lettres étaient maintenant anéanties, je serais privé du seul plaisir qui me reste. C’est dans leur sein que je me console de tous mes maux : c’est parmi ceux qui les cultivent que je goûte les douceurs de l’amitié et que j’apprends à jouir de la vie sans craindre la mort. Je leur dois le peu que je suis ; je leur dois même l’hon­neur d’être connu de vous ; mais consultons l’intérêt dans nos affaires et la vérité dans nos écrits. Quoiqu’il faille des philosophes, des historiens, des savants pour éclairer le monde et conduire ses aveugles habitants ; si le sage Memnon m’a dit vrai, je ne connais rien de si fou qu’un peuple de sages.

Convenez-en, monsieur ; s’il est bon que de grands génies instruisent les hommes, il faut que le vulgaire reçoive leurs instructions : si chacun se mêle d’en donner, qui les voudra recevoir ? Les boiteux, dit Montaigne, sont mai propres aux exercices du corps, et aux exercices de l’esprit les âmes boiteuses.

Mais en ce siècle savant, on ne voit que boiteux vouloir apprendre à marcher aux autres. Le peuple reçoit les écrits des sages pour les juger non pour s’instruire. Jamais on ne vit tant de Dandins. Le théâtre en fourmille, les cafés retentissent de leurs sen­tences ; ils les affichent dans les journaux, les quais sont couverts de leurs écrits, et j’entends critiquer l’Orphelin  [1], parce qu’on l’applaudit, à tel grimaud si peu capable d’en voir les défauts, qu’à peine en sent-il les beautés.

Recherchons la première source des désordres de la société, nous trouverons que tous les maux des hommes leur viennent de l’erreur bien plus que de l’ignorance, et que ce que nous ne savons point nous nuit beaucoup moins que ce que nous croyons savoir. Or quel plus sûr moyen de courir d’erreurs en erreurs, que la fureur de savoir tout  ? Si l’on n’eût prétendu savoir que la terre ne tournait pas, on n’eût point puni Galilée pour avoir dit qu’elle tournait. Si les seuls philosophes en eussent réclamé le titre, l’Encyclopédie n’eût point eu de persécuteurs. Si cent Myrmidons n’aspiraient à la gloire, vous jouiriez en paix de la vôtre, ou du moins vous n’auriez que des rivaux dignes de vous.

Ne soyez donc pas surpris de sentir quelques épines inséparables des fleurs qui couronnent les grands talents. Les injures de vos ennemis sont les acclamations saty­ri­ques qui suivent le cortège des triomphateurs : c’est l’empressement du public pour tous vos écrits qui produit les vols dont vous vous plaignez : mais les falsifica­tions n’y sont pas faciles, car le fer ni le plomb ne s’allient pas avec l’or. Permettez-moi de vous le dire par l’intérêt que le prends à votre repos et à notre instruction. Méprisez de vai­nes clameurs par lesquelles on cherche moins à vous faire du mal qu’à vous détourner de bien faire. Plus on vous critiquera, plus vous devez vous faire admirer. Un bon livre est une terrible réponse à des injures imprimées ; et qui vous oserait attribuer des écrits que vous n’aurez point faits, tant que vous n’en ferez que d’inimitables  ?

Je suis sensible à votre invitation ; et si cet hiver me laisse en état d’aller au prin­temps habiter ma patrie, j’y profiterai de vos bontés. Mais j’aimerais mieux boire de l’eau de votre fontaine que du lait de vos vaches, et quant aux herbes du votre verger, je crains bien de n’y en trouver d’autres que le Lotos, qui n’est pas la pâture des bêtes, et le Moly qui empêche les hommes de le devenir.

Je suis de tout mon cœur et avec respect, etc.


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