Segnalo questo articolo sul declino della scuola repubblicana (anche in Francia sebbene in forme meno drammatiche di quella italiana) uscito sul numero 48 di Multitude, marzo 2012. Il testo, molto ricco, affronta tutti nodi delle trasformazioni che la società neoliberale impone alla scuola allontanandola dal modello repubblicano, ma anche la reazione degli insegnanti a questo declino. Per non arrendersi alla chiusura degli spazi e alla sparizione delle risorse gli insegnanti salgono sul web e diventano documentalisti per insegnare ai propri studenti a discernere significati nel gran mare di dati. Succede in Francia e succede anche qui.
Les attaques systématiques du gouvernement contre la vieille école républicaine n’affirment pas seulement une défiance, elles confirment une réorientation : les enseignants ne sont pas invités à élargir le champ de leurs centres d’intérêts, ou à redéployer les activités qu’ils mènent avec leurs élèves comme les plus mobilisés d’entre eux le faisaient les décennies passées. Même la dite ouverture à la société civile, se résumant trop souvent à un stage de trois jours en entreprise, semble remise au placard. Non, au pied de l’autel de la rentabilité du temps de présence, les enseignants doivent se mettre au garde à vous, laisser partir les collègues à la retraite, travailler sans rechigner, respecter les changements de programmes qui se succèdent, obéir aux sautes d’humeur du gouvernement, ranger les lectures « difficiles », remplacer un collègue défaillant quelle que soit la matière, faire de l’école une garderie. Obéir + obéir + obéir + obéir + obéir… Bref, reprendre le pli d’une caricature de l’école d’autrefois.
L’École n’aurait-elle plus partie liée avec la démocratie ? Se retournerait-elle contre les profs et la plupart de ses acteurs, sous prétexte qu’elle coûterait toujours plus cher dans un État à bout de ressources budgétaires ? Si les décisions ne sont pas toujours démocratiques à l’école, et si son défaut d’ouverture au monde prête évidemment à débat, l’école initie pourtant de multiples façons à la démocratie. Elle est l’un des seuls lieux communs à tous. Dans l’école, chacun s’initie à une opérativité, acquiert une « capabilité » (Amartya Sen). Dans l’école, l’entreprenariat au sens premier du terme se pratique collectivement. La passion frénétique pour l’évaluation y prend sans doute trop facilement le pas sur l’apprentissage de l’esprit critique… Mais cette tendance bien connue, ajoutée à la course aux économies financières, peuvent-elles excuser le manque d’ambition des programmes politiques sur ce thème ? Ne serait-il pas temps, au contraire, de retrouver, mieux de renforcer cette dynamique égalitaire qui prend tout son sens à l’âge d’Internet et des réseaux sociaux ?
L’école, le premier espace de relations
La première vertu de l’école est de rassembler dans un même espace des enfants de toutes origines, et de leur faire entrevoir que cet être en commun est possible. En même temps, cela n’a rien de facile et doit être ménagé par tout un ensemble de ruses qui fassent admettre cet être en commun moins aux enfants qu’aux parents qui craignent de mauvaises fréquentations pour leurs chéris. Pour l’enseignant face à la classe dans sa diversité, ou face à une classe déséquilibrée par un trop-plein d’enfants d’origine étrangère, d’enfants de familles pauvres ou à l’inverse de « gosses de riche », il faut assumer et trouver les dispositifs propres à assurer l’égalité. Mêmes exercices pour tous et exercices choisis pour les tenir tous en mouvement avec leurs capacités différenciées. Reconnaissance des savoirs différents dont sont porteurs les uns et les autres. Mutualisation des transmissions si possible. Peu à peu le « groupe classe » se détache de la place sociale qui lui était assignée et se rend capable de nouvelles productions : textes libres, exposés, expositions, voyages d’études, petits écarts au train-train font le sel de l’année… Et ce sont ces multiples à-côtés, ignorés par les caciques du pouvoir en place alors qu’ils construisent littéralement l’imaginaire d’une classe, qui témoignent de la productivité de la démocratie au sein de l’espace scolaire.
Dans cet espace public de l’école, tendu par l’égalité virtuelle de tous, la rencontre n’est pas seulement celle des enfants entre eux, mais celle d’une pluralité d’acteurs. Au sein de l’espace scolaire, les enfants sont virtuellement égaux, et des adultes, enseignants, psychologues et autres intervenants s’efforcent qu’ils le deviennent. Un acteur au milieu de tout cela est rétif et ambigu : l’association des parents d’élèves. Chacun, en son sein, y veut le meilleur pour la future réussite sociale et économique de son enfant, et a du mal à percevoir ce meilleur pour le futur citoyen qu’il est tout autant. La notion de rentabilité immédiate des études, dont les associations se font souvent le relais, est une peste, et ce d’autant que cette épidémie-là trouve une oreille attentive du côté des instances publiques, sommées elles aussi d’être « enfin » rentables. L’alliance entre parents et enseignants est pourtant fondamentale. Or elle se tisse bien plus autour de sorties, piqueniques, et autres actes d’un embryon de vie quotidienne commune que dans les trois réunions de conseil de classe d’une année scolaire avec les deux représentants des parents et les deux délégués des élèves. Les enseignants ne demandent la plupart du temps qu’à mettre leur savoir et leur imagination au service du développement social de l’école et plus largement du quartier. Sauf que ce n’est plus guère ce qu’on attend « officiellement » d’eux…
Faire groupe pour apprendre
Dans l’espace scolaire s’acquièrent des techniques de représentation et de transformation sans limites autres que celles qu’on se donne ou qu’on vous impose. Une fois que vous avez appris à lire, vous pouvez lire tout ce qui vous tombe sous la main. Pour le calcul, c’est un peu plus compliqué, il faut apprendre à chaque fois une figure différente ; mais la logique ainsi acquise et mise en pratique enrichit l’élève en termes de méthode, voire de démarche intellectuelle… Sur un autre registre, les mathématiques invitent à naviguer dans un flux d’abstraction sans limite, éventuellement dangereux car in fine de l’ordre de l’indécidable. C’est ce qui explique l’acharnement des autorités à contenir dans d’étroites limites le flux de savoir appréhendable par la plupart des gens, à limiter les ponts entre les maths et la philosophie, à cantonner l’histoire, désormais privée de classe de terminale, à multiplier les vieilles références plutôt que les nouvelles questions, bref à rhabiller l’école républicaine des oripeaux méthodologiques des écoles catholiques.
La situation actuelle a beaucoup changé par rapport à celle qui prévalait à la fondation de l’école. Une myriade de contenus sont accessibles sans difficulté, hors du cadre scolaire, notamment via cet océan de données qu’est Internet. Des jeux rendent les opérations de base accessibles de façon ludique grâce à des technologies très sophistiquées. Chacun baigne dans un environnement immense dont il ne touche pas les limites, mais sans conscience de ses règles. Toutes ces (r)évolutions relèguent l’univers scolaire traditionnel à la préhistoire du boulier et de l’ardoise. L’espace public scolaire se voit plus que jamais appelé à reconnaître des compétences acquises à la maison ou dans les temps de loisir. Devant la multiplication proliférante des savoirs et de leurs formes, il semble ne plus pouvoir construire l’espace relatif de mutualisation qui le caractérisait. Et parvient plus difficilement qu’hier à réduire les écarts entre classes sociales, ou, dans le langage d’aujourd’hui, entre « info-riches » et « info-pauvres ».
C’est bien pourquoi, plus que jamais à l’heure de l’immensité des savoirs accessibles, il reste à faire groupe envers et contre tout. À faire commun. À faire fonds du peu qu’on a chacun, en développant les apprentissages au maximum de ce qu’il reste possible d’accomplir dans le temps imparti. Les enjeux concrets ? S’appuyer sur la plus grande rapidité des uns pour tirer la lenteur des autres. Profiter des connaissances captées chez eux par les uns pour nourrir la réflexion de tous en classe. S’enrichir des explications inventées par les uns pour répondre aux questions improbables des autres… Et puis, encore et toujours, s’arcbouter pour que le groupe classe tienne grâce à l’entraide entre les uns et les autres. Histoire que tous comprennent, par l’exemple, la puissance de ce commun qui nous enrichit tous sans appauvrir personne. Faire groupe envers et contre tout, faire commun.
Devenir entrepreneur collectif de bien-être
L’école se heurte aujourd’hui à une conception de l’individu complètement différente de celle qui l’a vue naître. Elle était profilée pour former des travailleurs et des citoyens membres de grandes organisations leur proposant des choix simples, et elle se trouve jetée dans un monde où les grandes organisations se sont fragmentées, où les choix collectifs sont implicites et incertains, voire menaçants, où l’individu est au centre de tout. Les sirènes du néolibéralisme chantent : il faut devenir entrepreneur de soi-même, devenir compétitif, enrôler les autres dans son propre projet. Le projet égalitaire de l’école publique est aux antipodes de ces injonctions. Mais comment ne pas voir tout ce que ces appels à l’égoïsme ont d’ores et déjà de dépassé ? Car l’enjeu, plus encore que d’être l’entrepreneur de soi-même, est de dénicher l’information juste dans une mer de données, puis de transformer cette information en connaissance pour ses groupes et communautés autant que pour soi… À l’instar de la façon dont fonctionne le monde du logiciel libre, ce travail-là ne peut que profiter de l’apport de tous. Et c’est là, justement, où il rejoint la dynamique égalitaire de l’école : tous différents, certes, mais tous plus riches de l’apport de chacun au « commun »…
Les injonctions du présent transforment l’enseignant en documentaliste, en serviteur de l’élève qui veut qu’on lui fournisse les meilleures informations pour l’élaboration de son projet. Il faudrait que l’enseignant, en un retour désuet et très peu opérationnel à l’idéal aristocratique, se transforme en précepteur, consacre tout son temps à chacun, au moment même où on supprime des postes et où on le surcharge.
De nouveaux outils de documentation sont apparus, à commencer par les centres de documentation intégrés aux collèges. Et puis il y a Internet… Organiser un enseignement personnalisé avec de telles ressources demande en réalité bien plus de temps. On ne peut plus savoir à l’avance par quel bout le jeune va entrer dans une matière, désormais accessible d’infiniment de voies. De nouveaux scénarios d’accès au savoir sont à construire, mais pour transmettre vers qui ? Peut-on penser que les jeunes peuvent devenir avec les enseignants des précepteurs de la société comme ils l’ont été au XIXe siècle ?
Partout, sans considération pour les oukases de l’institution, des expériences se mettent en place. À l’instar de ce qu’on appelle les « Twittclasses », elles s’inspirent des outils, du langage des jeunes générations pour renouveler les formes de l’enseignement et créer des passerelles entre la classe et son environnement. Dans une école primaire de Dunkerque, par exemple, ce sont des élèves de CP qui « tweetent chaque jour autour d’une activité réalisée en classe » comme la résolution collective d’une énigme ou un problème de maths [1]]. Ailleurs, ce sont des jeux vidéo qui sont utilisés non à fin d’amusement mais d’apprentissage de la physique ou de la chimie [2]]… Les nouvelles technologies, bien sûr, ne résolvent rien par elles-mêmes, mais elles pourraient être le sésame d’un nouveau pacte entre élèves qui en maîtrisent les codes et enseignants qui en connaissent la puissance autant que les limites. Il y a, dans ces initiatives, comme une invitation à un nouvel enrichissement commun, à une nouvelle conception du bien-être, non plus égoïste mais partagé, rentable non plus à court terme et uniquement pour les élèves déjà avantagés mais à moyen et long terme et pour tous les élèves, connectés ou non, grâce au collectif de la classe.
L’évaluation, élévation à une puissance supérieure
L’école est le royaume de l’évaluation, évaluation des élèves, évaluation des enseignants, notes chargées de maintenir l’inertie du système, de le ramener vers ses antécédents : explications par l’origine des élèves, lamentations sur le niveau qui baisse, mépris pour des enseignants non conformes aux images des temps héroïques. Ces assertions négatives ne donnent aucune force pour construire un devenir démocratique, un devenir fait notamment de plus d’égalité. Au lieu de perdre son temps à reconnaître les qualités des bons élèves et à les expliquer par leurs meilleures origines sociales, mieux vaudrait les mettre au travail auprès des moins bons, pour entraîner ces derniers vers de meilleurs résultats. Cela donnerait au minimum une consistance aux différences dans la classe et à ce qu’elles ont d’injuste. Cela ne permettrait-il pas d’obtenir de meilleurs résultats aux examens que d’habitude ? On ne le saura que si l’on essaie. Et l’école mutuelle au XIXe siècle a déjà essayé. Et elle a été détruite par le gouvernement, les notables et l’Église parce qu’elle formait des rebelles, des performants à leur propre compte, voire des communards. Les temps présents n’ont-ils pas besoin de communards ?
La démocratie, un principe actif à l’école
Tout ce qui, grâce aux enseignants et leur ouverture à ce nouveau monde connecté de leurs élèves, aura pour effet de sortir les jeunes de la « déceptivité » par rapport à la démocratie, dont seraient porteurs les adultes d’après les observateurs, est bon à prendre. Cette déceptivité exprimée en termes idéologiques peut être combattue par des mesures prises ici et maintenant, dans la classe élémentaire, au collège, au lycée. Apprendre ensemble quelque chose qu’on a décidé, sur le mode qu’on a choisi, peut-être à l’intérieur du programme pour ne pas faire de vague, mais le faire en sachant qu’on travaillera jusqu’à ce qu’on soit tous contents de ce qu’on a fait, et qu’on trouve à qui le transmettre, cela se fait tous les jours ici et là. Mais cela n’est pas mis en valeur, alors même que ce type de démarche est au cœur de ce que d’aucuns appellent l’économie de la connaissance…
Si cela se fait tous les jours, comment donc mutualiser ces expériences, les faire circuler, les discuter ensemble, les exposer ensemble ? Cela aussi, on l’a fait déjà. Alors comment transformer l’image des enseignants et des collèges qu’ont les médias, les syndicats, les associations de personnes âgées, etc. ? Désobéissants et activistes essaient déjà de reconstruire l’école. Mais ils ne sont pas les seuls. Ceux qui s’imprègnent des objets du numérique pour mieux en détourner collectivement les usages en classe… Ceux qui font vivre leur idéal démocratique entre eux, leurs élèves, les parents, les autres enseignants et les acteurs des quartiers… Ceux qui expérimentent au mépris de la rentabilité immédiate… Ceux qui jouent et se déjouent des clichés sur le niveau des élèves de banlieue… Ceux qui préfèrent s’enrichir de leurs élèves plutôt que d’enrichir la société de consommateurs… Ceux-là et bien d’autres changent déjà l’école sans nuire à l’apprentissage des bases nécessaires à tous… Ceux-là et bien d’autres, pour peu qu’un pouvoir sache profiter de leurs initiatives après les présidentielles, pourraient non seulement faire grandir leurs élèves mais faire grandir l’Éducation nationale, l’école, et plus largement ce collectif que nous formons tous…
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