La scelta di testi (per ora in francese) del laboratorio filosofico tenuto nel novembre 2011 da Bossy al Mémorial de la Shoah. Le questioni affrontate: la sparizione o la cancellazione delle tracce come struttura del crimine; la struttura ricorsiva dell’antisemitismo; l’impossibilità del lutto e dell’oblio [quest’ultimo testo è in traduzione].
I. La disparition ou l’effacement des traces comme structure du crime
Texte 1: « Ainsi la peur des camps des camps de concentration, et les vues qui en résultent quant à la nature de la domination totale, peuvent-elles servir à […] fournir, par delà celles-ci, la principale échelle à laquelle rapporter les événements politiques de notre temps : servent-ils ou non la domination totalitaire ? En tout cas, l’effroi dont est frappée l’imagination a le grand avantage de réduire à néant les interprétations sophistico-dialectiques de la politique, qui sont toutes fondées sur la superstition que du mal peut sortir le bien. De telles acrobaties dialectiques eurent un semblant de justification aussi longtemps que le pire traitement qu’un homme pouvait infliger à un autre était de le tuer. Mais, nous le savons aujourd’hui, le meurtre n’est qu’un moindre mal. Le meurtrier qui tue un homme – un homme qui devait de toute façon mourir – se meut encore dans le domaine de la vie et de la mort qui nous est familier ; toutes deux ont assurément un lien nécessaire, sur lequel se fonde la dialectique, même si elle n’en est pas toujours consciente. Le meurtrier laisse un cadavre derrière lui et ne prétend pas que sa victime n’a jamais existé ; s’il efface toutes traces, ce sont celles de son identité à lui, non le souvenir et le chagrin des personnes qui ont aimé sa victime ; il détruit une vie, mais il ne détruit pas le fait de l’existence lui-même. Les nazis, avec la minutie qui les caractérisait, avaient coutume d’enregistrer toutes leurs activités dans les camps de concentration sous la rubrique « Sous l’épaisseur de la nuit (Nacht und Nebel) ». Le radicalisme des mesures prises pour traiter les gens comme s’ils n’avaient jamais existé et pour les faire disparaître au sens littéral du terme n’apparaît généralement pas à première vue. La véritable horreur des camps de concentration et d’extermination réside en ceci que les prisonniers, même s’il leur arrive d’en réchapper, sont coupés du monde des vivants bien plus nettement que s’ils étaient morts ; c’est que la terreur impose l’oubli. »
Hannah Arendt, Le système totalitaire, Points-Seuil, 1974, p. 179-180.
II. L’infini de l’antisémitisme
Texte 2 : « Il faut voir ce qu’était le Juif pour eux. Je reprends le cas de ce petit village : je ne dis pas qu’ils pouvaient faire beaucoup. Sans doute ils n’y pouvaient rien. Mais la question n’est pas là. Quand ils racontent, très calmement, qu’ils voyaient, au moment où on rassemblait les Juifs sur la place, qu’on prenait les petits enfants, qu’on les saisissaient par les chevilles et qu’on les envoyait se fracasser dans les camions… ils assistaient à cela ! Le Juif pour eux est autre, en un double sens. Il est l’autre absolu, tellement étranger, tellement autre-que-l’homme qu’ils peuvent assister sans broncher à cette scène incroyable. Ça ne les émeut pas. Et en même temps c’est l’autre le plus familier. Ils parlent juif, ils allaient à l’école avec des juifs quand ils étaient petits. »
Parole de Claude Lanzmann in Au sujet de Shoah, Ed. Belin, 2001, p. 286.
Texte 3 : « Que gagne t-on à entretenir une telle haine du Juif, indéracinable et replacée dans le flou instinctuel ? On y gagne énormément. À tel point que je ne considère pas l’antisémitisme des nationaux- socialistes comme une application particulière de leur racisme général, mais bien plus, je suis convaincu qu’ils n’ont emprunté et développé la doctrine générale de la race que pour fonder l’antisémitisme de manière durable et scientifique. Le Juif est l’homme le plus important dans l’Etat d’Hitler. Le Juif est l’homme le plus important dans l’État de Hitler : il est la tête de Turc et le bouc émissaire le plus populaire, l’adversaire le plus notoire, le dénominateur commun le plus évident, le crochet le plus solide regroupant les facteurs les plus variés. Si le Führer avait réussi à détruire tous les juifs, selon ses aspirations, il aurait été obligé d’en inventer de nouveaux […] d’ailleurs, le Führer n’aurait pas eu de mal à inventer d’autres Juifs, puisque les anglais étaient désignés par des auteurs Nazis comme les descendants de la tribu disparue des juifs de la Bible… Si tu parles de plusieurs adversaires, d’aucuns pourraient s’aviser de penser que toi, l’individu, tu as peut-être tort – alors réduis-les au même dénominateur, regroupe-les, donne-leur un caractère commun ! Tout cela est fourni, de manière illustrative et « proche du peuple », par le Juif. Et, ici, il faut accorder une attention particulière au singulier qui personnifie et allégorise. Là encore, il ne s’agit pas d’une invention du Troisième Reich. Dans la chanson populaire, dans la ballade historique, et encore dans le populaire argot militaire de la Première Guerre mondiale, on dit de préférence : le Russe, le Britannique, le Français. Mais en l’appliquant au Juif, la LTI étend l’emploi de l’article singulier, qui allégorise, bien au-delà du territoire du lansquenet d’autrefois. Le Juif – ce mot occupe dans l’usage linguistique des nazis un espace encore plus grand que « fanatique », mais l’adjectif « juif » apparaît encore plus fréquemment que le substantif, car c’est surtout grâce à l’adjectif que l’amalgame de tous les adversaires en un seul ennemi est effectif : la Weltanschauung judéo-marxiste, l’inculture judéo-bolchevique, le système d’exploitation judéocapitaliste, l’intérêt qu’ont les cercles judéo-anglais et les cercles judéo-américains à la destruction de l’Allemagne : ainsi, à partir de 1933, littéralement tous les adversaires, d’où qu’ils viennent, conduisent toujours à un seul et même ennemi, un ver caché dans le fruit hitlérien, au Juif qui, dans les moments les plus intenses, est appelé « Juda », et dans les instants les plus pathétiques, le « Juda universel » [Alljuda]. Mais au fond, cette soif de meurtre des Juifs n’est pas née de réflexions ou d’intérêts, pas même d’une soif de pouvoir, mais d’un instinct, d’une « insondable haine » de la race juive envers la race germano-nordique. L’ « insondable haine » des Juifs est un cliché qui eut cours tout au long de ces douze années. Contre une haine foncière, il n’y a pas d’autre garantie que la suppression du haineux : ainsi, on passe logiquement de la stabilisation de l’antisémitisme racial à la nécessité de l’extermination des Juifs. Hitler n’a parlé qu’une seule fois du fait qu’il voulait « rayer de la carte » [ausradieren] les Villes anglaises, c’était une déclaration isolée qui, comme tout ce qu’il y a d’hyperbolique en lui, s’explique par l’absence totale de retenue de sa mégalomanie. Au contraire, « exterminer » [ausrotten] est un verbe qui est employé souvent, il appartient au vocabulaire général de la LTI, à la section « Juifs » et, là, il désigne un objectif auquel on aspire ardemment. »
Victor Klemperer, L. T.I. (Lingua tercii imperii), Pocket-Agora, 1998, p.231 et ss.
III. L’impossible deuil, l’impossible oubli
Texte 5 : « Combien le deuil fut impossible, en particulier, pour les enfants juifs dont les parents disparurent dans les rafles. Come il lutto fu impossibile, in particolare per i bambini ebrei i cui genitori scomparvero nei rastrellamenti.
Premièrement, comme on l’a déjà dit, il y avait un espoir de voir les parents revenir, et, de fait, en de rares cas l’un des deux parents est revenu ; dans des cas extrêmement rares, les deux. Puisque certains sont revenus, pourquoi mes parents à moi ne reviendraient-ils pas un jour ? S’il était possible que les parents fussent toujours vivants, pourrait-on parler d’eux comme s’ils étaient morts ? Ne pas parler d’eux, c’est le seul moyen d’empêcher que les autres persistent à les dire morts, et c’est le seul moyen de croire, encore et toujours, qu’ils finiront par revenir. Or, du fait de ne parler ni des parents ni de leur mort éventuelle ou réelle, plus rien n’était réel : en effet, notre sentiment de la réalité d’un fait exige d’être validé par la société. Voilà pourquoi, dans un deuil normal, nous parlons tant de la personne disparue. Nous voulons deux choses : en garder le souvenir vivant ; et, en même temps, donner aux autres l’occasion, en causant avec nous, de nous convaincre que la personne est vraiment partie pour toujours. Sans ces échanges de paroles, sa mort demeure irréelle, et donc nous ne pouvons la pleurer.
In primo luogo, come detto, c’era la speranza di veder tornare i genitori e, di fatto, in alcuni rari casi, uno dei due è tornato, più raramente, entrambi. Poiché alcuni erano tornati, perché i miei non potrebbero tornare un giorno? Se era possibile che essi fossero sempre in vita, come si poteva parlare di loro come fossero morti? Non parlare di loro era il solo modo d’impedire che gli altri insistessero a dirli morti ed era il solo modo di credere, ancora e sempre, che essi avrebbero finito per tornare. Ora, a causa del fatto di non parlare né dei genitori, né della loro morte eventuale o reale, più niente era reale: in effetti, il nostro senso della realtà d’un fatto, esige d’essere convalidato dalla società. Ecco perché. in un lutto normale, noi parliamo tanto della persona scomparsa. Noi vogliamo due cose: conservarne il ricordo vivo e, allo stesso tempo, dare agli altri l’occasione, trattandone con noi, di convincerci che la persona se n’è davvero andata per sempre. Senza questi scambi di parole, la sua morte resta irreale e dunque non possiamo piangerla.
En second lieu, ni dans l’enfance ni plus tard, il n’y a jamais eu de preuve tangible et physique de la mort des parents : ni cadavre à ensevelir, ni tombe à visiter. Il n’y a pas eu de ces rites qui auraient donné le signal du deuil dans les formes traditionnelles et l’auraient organisé, et, partant, grandement facilité. Même quand le rituel peut se dérouler normalement, le travail de deuil doit s’étendre sur une longue période avant d’être achevé, jusqu’à un certain point du moins, car il en subsiste des traces aussi longtemps que l’on vit. Dans certaines cultures, le costume de deuil se porte un mois durant, ou une année, pour signaler qu’on pleure le mort. La coutume juive veut qu’on érige la pierre tombale seulement au jour anniversaire de la mort ou des obsèques, consacrant ainsi rituellement la fin de la période de deuil. Pour ceux dont parle ce livre, il n’y a eu ni témoignage précis de la mort de leurs parents, de leurs frères ou soeurs, ni point précis du temps où le deuil aurait pu commencer, ni donc aucune date à laquelle on aurait pu en prévoir la fin. […] un enfant de déporté : «Je me demande souvent pourquoi je ne sais pas profiter de la vie ! Si j’avais pu oublier totalement le passé, peut-être j’aurais pu vivre comme les autres, être heureux de ce que j’ai, et ne plus penser à ce que je n’ai plus. Je n’ai pas de photo de mes parents, je n’ai pas leur dernière lettre ; je n’ai pas de tombe où me recueillir. Un seul document: “Disparus… Auschwitz 1943. « C’est dur. » Un propos de Sonia laisse voir l’impossibilité d’abandonner tout espoir, et sa conséquence : être éternellement déçu ; et aussi, l’incapacité de prendre ce deuil qui vous délivrerait de la présence perpétuelle des morts dans votre esprit, jusqu’au jour où l’on reçoit quelque preuve matérielle. «J’ai réalisé la disparition définitive de mes parents grâce au livre des Klarsfeld. Quand j’ai vu, à la date du 29 avril 1944, le nom de mes parents, quel choc ! Trente-cinq ans après! Il m’a fallu trente-cinq ans pour admettre, finalement… Tu sais, j’ai gardé l’espoir si longtemps ! ». Sonia ne pouvait s’empêcher d’espérer toujours, parce que, sans le deuil nous ne pouvons pas croire vraiment que la personne aimée est morte, et que, sans preuve de sa mort, on ne peut en prendre le deuil. Seul le deuil nous permet d’accepter la mort, et, par là, de cesser d’espérer. Or, Sonia avait beau « savoir » que ses parents étaient morts depuis longtemps, elle n’avait pas de preuve tangible telle que ces lignes publiées dans un livre en 1978, et donc elle ne pouvait être en deuil.
In secondo luogo, né durante l’infanzia, né più tardi, non si è mai avuta alcuna prova tangibile e fisica della morte dei genitori: né cadaveri da vegliare, né tombe da visitare. Non abbiamo avuto quei riti che avrebbero segnalato il lutto nelle forme tradizionali e l’avrebbero organizzato, nonché, avviandosi, l’avrebbero molto facilitato. Anche quando il rito può svolgersi normalmente, l’elaborazione del lutto deve intendersi su un lungo periodo prima di essere realizzato, fino a un certo punto almeno, perché ne restano delle tracce per tutta la vita. In certe culture, l’abito da lutto si porta un mese o un anno per segnalare che si piange un morto. Il costume ebraico vuole che si eriga la pietra tombale soltanto nell’anniversario della morte o delle esequie, consacrando così, ritualmente, il periodo di lutto. Per quelli di cui parla questo libro, non si è avuta né testimonianza precisa della morte dei loro genitori, dei loro fratelli o sorelle, né momento preciso in cui il lutto avrebbe dovuto cominciare, né dunque, alcuna data in cui si sarebbe potuto prevederne la fine. Un figlio di deportati: «Mi domando spesso perché non so godere la vita ! Se avessi potuto dimenticare totalmente il passato, forse avrei potuto vivere come gli altri, essere felice di ciò che ho e non pensare più a ciò che non ho più. Non possiedo foto dei miei genitori, non ho la loro ultima lettera, non ho tomba dove raccogliermi. Un solo documento: “Disperso … Auschwitz 1943. «E’ dura. » Una frase di Sonia lascia vedere l’impossibilità di abbandonare ogni speranza e le sue conseguenze : essere eternamente disperato e, inoltre, l’incapacità di prendere questo lutto che vi libererebbe della presenza perpetua della morte nel vostro spirito fino al giorno in cui se ne riconosce qualche prova materiale. «Ho preso atto della scomparsa definitiva dei miei genitori grazie al libro di Klarsfeld. Quando ho visto, alla data del 29 aprile 1944, il nome dei miei genitori, che choc ! Trentacinque anni dopo! Mi ci sono voluti trentacinque per ammettere finalmente … Sai, ho conservato la speranza così a lungo ! ». Sonia non poteva impedirsi di sperare sempre, perché senza il lutto non possiamo credere veramente che al persona amata è morta e che, senza prova della sua morte, non si può portare il lutto. Solo il lutto ci permette d’accettare la morte, e, attraverso esso, smettere di sperare. Ora, Sonia aveva un bel « sapere » che i suoi genitori erano morti da tanto tempo, lei non ne aveva prova tangibile come quelle righe pubblicate in un libro nel 1978, e dunque non poteva essere in lutto.
Il est à peine besoin de rappeler, en troisième lieu, qu’il ne pouvait y avoir dans leur cas de cérémonies de nature à donner au deuil une structure rituelle, à le rendre possible, et donc à l’orienter vers une acceptation de la perte. Même chez les juifs sans grande piété, dire le Kaddish pour un parent décédé, c’est une obligation de toute importance, à tel point que, dans les milieux orthodoxes, le plus âgé des fils était « le Kaddish », celui qui dirait un jour les prières de deuil quotidiennes après la mort de ses parents. C’était une chance d’avoir à honorer leur mémoire, un service de haute importance qu’on pouvait encore leur rendre ; être capable de le faire, voilà qui aidait à surmonter les sentiments nés de la perte. Si puissants qu’aient pu être ces facteurs pour mettre les enfants dans l’impossibilité de prendre le deuil de leurs parents et, une fois le deuil achevé, de reprendre une vie normale, ils retombent dans l’insignifiance quand on les compare aux conditions psychologiques où les enfants se sont trouvés lors de la séparation d’avec leurs parents. Être en deuil, c’est être dans un état de dépression, dû à la perte subie. Pour être en état de supporter sans effondrement complet la perte d’un parent aimé, on a besoin de ce bienfait qu’est le soutien affectif de la famille et des amis. Or, quatrième point, après la séparation d’avec leurs parents, les enfants, s’ils voulaient survivre, ne pouvaient se permettre d’entrer en deuil, donc de tomber en dépression. Ils avaient besoin de toute leur énergie vitale pour trouver moyen de s’en tirer. De fait, pour être en mesure de s’adapter aux conditions nouvelles, il leur fallait changer, dans l’instant, de manière de vivre, se faire beaucoup plus énergiques et ingénieux qu’ils n’ avaient jamais été. Il leur fallait être capables de faire face à des circonstances radicalement nouvelles et différentes, vivre avec des gens qu’ils n’avaient jamais connus, dans des conditions tout à fait étrangères. Et il n’y avait personne autour d’eux pour leur donner le soutien affectif dont ils auraient eu besoin pour se permettre de sentir quelque chose. […]
E’ appena il caso di ricordare, in terzo luogo, che non ci potevano essere, nel loro caso, cerimonie di natura tale da dare al lutto natura rituale, a renderlo possibuile e dunque a orientarlo verso un’accettazione della perdita. Anche tra gli ebrei meno religiosi, dire il Kaddish per un genitore deceduto è un obbligo di grande importanza, a tal punto che negli ambienti ortodossi, il maggiore dei figli era « il Kaddish » quello che un giorno avrebbe detto le preghiere quotidiane di lutto dopo la morte dei genitori. Era una fortuna essere chiamati a onorare la loro memoria, un servizio di alta importanza che si poteva ancora rendere loro e che aiutava a superava i nascenti sentimenti di perdita. Fattori così potenti che hanno potuto mettere i figli nell’impossibilità di prendere il lutto per i genitori e una volta finito il periodo di cordoglio, riprendere una vita normale, ricadono nell’insignificanza quando li si compara alle condizioni psicologiche nelle quali i figli si sono trovati al momento della separazione dai loro genitori. Essere in lutto, è essere in stato di depressione, dovuto ala perdita subita. Per essere in grado di sopportarla senza sprofondare completamente nella perdita di una persona cara, si ha bisogno del sostegno della famiglia e degli amici. Ora, ed è il quarto aspetto, dopo la separazione dai loro genitori, i figli, se volevano sopravvivere, non potevano permettersi di entrare in lutto, dunque di cadere in depressione. Essi avevano bisogno di tutta la loro energia vitale, per trovare il modo di uscirne vivi. Di fatto, per essere in grado di adattarsi alle nuove condizioni, era loro necessario cambiare subito il modo di vivere, farsi molto più energici e ingegnosi di quanto fossero mai stati prima. Gli serviva di essere capaci di far fronte a circostanze radicalmente nuove e diverse, vivere con genete che non avevano mai conosciuto, in condizini assolutamente estranee. E non c’era nessuno intorno a loro per dare il sostegno affettivo di cui avrebero avuto bisogno per permettersi di sentire qualcosa. […]
Je pourrais citer l’histoire d’un enfant juif qui n’avait pas encore dix ans, et que ses parents ont envoyé, par hasard, faire une course. Au retour, il voit sa maison encerclée par la police. Il en sait suffisamment pour comprendre ce qui arrive. Aussitôt, il tourne les talons, s’enfuit vers la pleine campagne et se cache dans la forêt prochaine. Tout ce qu’il possède, c’est l’adresse d’une personne, à plus de quarante kilomètres de là. Il n’ose pas prendre le chemin de fer, et il n’a pas assez d’argent pour payer le billet. Il évite les routes fréquentées et, durant la journée, se cache dans les bois. Il ne marche que la nuit. Heureusement, il a encore le peu de nourriture qu’il était allé acheter. En deux jours, ou plutôt en deux nuits, il parvient à l’adresse qu’on lui avait dite. Il ne peut y rester. Trois fois, il est renvoyé de lieu en lieu. Des fermiers le cachent, puis c’est une institution pour enfants débiles, d’où il déguerpit spontanément quand ses camarades, tout faibles d’esprit qu’ils sont, s’aperçoivent que personne ne lui rend visite, qu’il ne reçoit pas de lettres ; alors, ils se mettent à le soupçonner. Il a tout juste réussi à survivre, mais il survit, pour y arriver, il a dû ramasser, à tout moment, toute son énergie mentale et affective. S’il avait cédé aux sentiments provoqués par le spectacle de sa famille emmenée, probablement pour être anéantie, il n’ aurait jamais eu la force de faire le nécessaire pour survivre. Il a refoulé ses sentiments pour accomplir les gestes voulus et pour vivre ; d’une grande famille, il est le seul survivant. J’ai déjà dit plusieurs fois que tous les rituels de deuil ou presque ont pour trait essentiel le soutien que parents, amis et communauté apportent aux affligés, et que seul ce soutien rend possible un rétablissement complet. J’ai dit aussi que des enfants ont perdu leurs parents dans des catastrophes sans en subir nécessairement des conséquences irréparables, si réelles qu’aient été leurs souffrances.
Potrei citare la storia di un bambino ebreo che non aveva ancora compiuto dieci anni e che i genitori avevano inviato per caso a fare degli acquisti. Al ritorno, vede la sua casa accerchiata dalla polizia. Ne sa abbastanza per capire cosa sta succedendo. Cambia subito strada e fugge verso la campagna, nascondendosi nella vicina foresta. Tutto ciò che possiede é l’indirizzo di una persona a più di quaranta chilometri da lì. Non osa prendere il treno, non ha abbastanza denaro per comprare il biglietto. Evita le strade battute e, durante il giorno, si nasconde nei boschi. Cammina solo di notte. Fortunatamente, ha ancora un po’ del cibo che era andato a comprare. In due giorni, o piuttosto, due notti, arriva all’indirizzo che gli avevano indicato, ma non può restarvi, tre volte è inviato di luogo di luogo. Dei fattori lo nascondono, poi c’è un’istituzione per bambini disabili che abbandona spontaneamente quando i suoi compagni, per quanto deboli di mente, si accorgono che nessuno va a trovarlo e che non riceve lettere, cominciando a sospettare di lui. Egli è riuscito a sopravvivere, ma per riuscirci ha dovuto raccogliere in ogni momento, ogni sua forze intellettuale e affettiva. Se avesse ceduto ai sentimenti causati dallo spettacolo della sua famiglia rastrellata, probabilmente per essere annientata, nonavrebbe mai avuto la forza necessaria per sopravvivere. Egli ha rimosso questi sentimenti per compiere i gesti voluti e per vivere ; di une famiglia numerosa egli è l’unico sopravvissuto. Ho già detto più volte che tutti o quasi i rituali di lutto hanno come mtratto essenziale il sostegno che parenti, amici, e comunità apportano agli afflitti e che solo questo sostegno rende possibile un completo ristabilimento. Ho anche detto che dei ragazzi hanno perso i loro genitori in dele catastrofi senza subirne necessariamente delle conseguenze irreparabili, reali quanto lo erano state le loro sofferenze.
Voilà qui m’amène à mon cinquième et dernier point. Pourquoi en est-il allé si différemment pour les enfants juifs de France, et des quelques autres lieux d’Europe où certains enfants ont trouvé moyen de survivre tandis que leurs parents étaient assassinés par les nazis ? Les enfants qui sont assez âgés et assez intelligents pour se rendre compte, jusqu’à un certain point, de la situation où ils se trouvent – et ils en sont capables de très bonne heure, au moins subconsciemment sentent la réaction du monde à leur infortune et répondent à cette réaction. Par exemple, les enfants qu’une catastrophe naturelle a rendus orphelins savent que le reste du monde les prend en pitié, veut les secourir, veut qu’ils vivent et qu’ils ne soient pas défavorisés par ce coup du sort. Tout le monde paraît heureux de savoir qu’au moins ils ont eu la vie sauve. Ils ont le sentiment d’être accueillis et soutenus, ce qui leur permet, une fois passé le danger qui menace immédiatement leur vie, d’entrer dans la forme de deuil qui leur est accessible vu leur âge et leur degré de maturité. En outre, on s’efforce de retrouver les cadavres des parents, de leur faire des obsèques décentes, ce qui aide les enfants à accepter les faits, à les admettre pour irréversibles, à se prémunir contre de faux espoirs, à se mettre en deuil. La situation psychologique a été exactement inverse dans les pays occupés par les nazis […] La société, les pouvoirs qui régnaient sur la vie, l’Etat, qui a pour obligation de protéger la vie des enfants, étaient déterminés à détruire les enfants juifs ; de même, c’est l’État qui, le premier, leur a volé leurs parents et ensuite les a assassinés. Ce n’est pas par un hasard malheureux qu’ils ont perdu leurs parents, comme dans le cas des orphelins dont les parents ont succombé à la maladie ou à une catastrophe naturelle ; c’est parce que leurs parents étaient juifs qu’ils étaient destinés à mourir, et les enfants avec eux. Si les parents meurent de maladie, ou par toute autre cause, il y a toute raison de supposer que les enfants seront sauvés ; du moment qu’ils survivent, ils ne sont plus menacés. Mais il n’y a pas moyen d’échapper à la manière dont on est venu au monde ; c’est un destin inéluctable, et ça, même un tout petit enfant le sait plus ou moins. Impossible de pleurer un parent quand on sait qu’on est soi-même appelé à mourir. Quand on prend le deuil, c’est pour se libérer, pas à pas, de la dépression causée par la perte, en sorte qu’on puisse continuer à vivre. Mais quand on va mourir, rien ne sert de porter le deuil des autres. Seuls le désespoir ou le refus sont psychologiquement possibles.
Ecco che arrivo al mio quinto punto. Perché è andata così diversamente ai ragazzi ebrei francesi e di qualche altro luogo europeo in cui alcuni di loro hanno trovato il modo di sopravvivere mentre i loro genitori venivano assassinati dai nazisti? I ragazzi abbastanza grandi e intelligenti per rendersi conto, fino a un certo punto, della situazione in cui si trovano – e ne sono capaci presto, almeno inconsciamente sentono la reazione del mondo alla loro vicenda e rispondono a questa reazione. Per esempio, i ragazzi che una catastrofe naturale ha reso orfani sanno che il resto mondo li compatisce, ne ha pietà e vuole soccorrerli, che vuole che essi vivano e che non siano sfavoriti da questo rovescio di fortuna. Tutti sembravano felici di sapere che almeno loro avevano avuto salva la vita. Hanno il sentimento di essere accolti e sostenuti, ciò che permette loro, una volta passato il pericolo che li minaccia, d’entrare nella forma di lutto che è loro accessibile in rapporto all’età e al loro grado di maturità. Inoltre, ci si sofrza di ritrovare le salme dei genitori, di far loro delle esequie decenti, ciò che aiuta i figli ad accettare i fatti, ad ammetterli come irreversibili, a premunirsi contro le false speranze, a mettersi in lutto. La situazione psicologica è stata esattamente inversa nei paesi occupati dai nazisti […] La società, i poteri che regnavano sulla vita, lo Stato che ha per obbligo di proteggere la vita dei ragazzi era determinato a distruggere la vita la ragazzi ebrei ; allo stesso modo, era lo stato in primo luogo a prendersi i loro genitori e poi ad assassinarli. Non era per un caso sfortunato che essi avevano perduto i loro genitori, come nel caso degli orfani i cui genitori erano caduti per una malattia o una catastrofe naturale; era perché i loro genitori erano ebrei che erano destinati a morire e i loro figli con loro. Se i genitori muoiono di malattia o per qualunque altra causa, ci sono buone ragioni per supporre che i figli saranno salvi, dal momento che sopravvivono non sono più minacciati. Ma non c’è modo di sfuggire al modo in cui si è venuti al mondo ; è un destino inelutabile e questo anche un bambino piccolo lo sa più o meno. Impossibile piangere un genuitore quando si sa che si è noi stessi chiamati a morire. Quando si prende il lutto è per liberarsi, passo dopo passo, della depressione causata dalla perdita, di modo che si possa continuare a vivere. Ma quando si va a morire, a nulla vale portare il lutto degli altri. Solo la disperazione eo il rifiuto sono psicologicamente possibili.
Claudine Vegh parle d’un sentiment accablant : « Danger de mort permanent. » Elle en parle dans un contexte un peu différent. Or je crois que ce sentiment est motivé par les souvenirs de ce qu’elle a ressenti quand elle se cachait, par ce qu’elle pensait que les autres ressentaient en se cachant, tremblants de peur d’être découverts et déportés vers les camps d’extermination. Ils savaient que, même si l’on peut se cacher et se trouver en sécurité pour un temps, il n’y a pas moyen d’échapper à sa naissance. C’est pourquoi l’ami de Claudine Vegh, interrogé sur ses origines, répond qu’il est « buchenwaldien ». En refusant, en déniant, que ce soit déni du fait ou déni des sentiments, on se rend étranger à eux […] Claudine Vegh dit en terminant : « Nous, les enfants juifs, qui avions traversé la période du nazisme, nous avons tout fait pour rejeter cette expérience, comme “hors de nous”. » Mais ça ne marche pas. Nous ne pouvons rendre extérieures à nous- mêmes les téalités et les épreuves les plus importantes de notre vie. Quoi que nous fassions, nous ne pouvons nous détacher d’elles. Si nous essayons, nous ne faisons que nous détacher de la vie. Il nous faut les admettre comme une partie très importante de nous-mêmes, sans pour autant leur permettre de tout dominer dans notre vie. »
Claudine Vegh parla d’un sentimento sovrastante : « Periclo di morte permanente ». Ne parla in un contsto un po’ differente. Ora, io credo che questo sentimento sia motivato dal ricordo di ciò che essa ha sentito quando si nascondeva, perché pensava che gli altri sentissero nascondendosi, tremanti di paura d’essere scoperti e deportati nei campi di sterminio. Essi sapevano che, anche se ci si può nascondere e trovare in sicurezza per qualche tempo, non c’è modo di sfuggire alla propria nascita. E’ perché l’amico di Claudine Vegh, interrogato sulle sue origini, risponde che è « buchenwaldiano ». Rifiutando, negando qualcosa che si tratti di fatti o sentimenti, ci si rende estranei ad essi […] Claudine Vegh dice in conclusione : « Noi, i ragazzi ebrei che hanno vissuto il periodo del nazismo, abbiamo fatto di tutto per rigettare questa esperienza come “fuori di noi”. » Ma questo non funziona. Noi non possiamo rendre esteriore a noi stessi le prove più importanti della notra vie. Qualunque cosa facciamo, non possiamo staccarci da loro. Se ci proviamo, non facciamo che staccarci dala vita. Siamo costretti ad ammetterle come una parte molto importante di noi stessi, senza peraltro permettere loro di dominare interamente la nostra vita. »
Bruno Bettelheim, Postface au livre de Claudine Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir (des enfants de déportés parlent), Folio, 2005, (1er édition 1979 collection « témoins »).
Bibliographie
Hannah Arendt, Le système totalitaire, Chapitres III et IV, Points-Seuil, 1974.
Bruno Bettelheim, Postface au livre de Claudine Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir (des enfants de déportés parlent), Folio, 2005, (lere édition 1979 collection « témoins »).
Jean-François Bossy, La philosophie à l’épreuve d’Auschwitz, Ellipses, 2004. chapitre 1 : « Mémoire des camps : actualité, étrangeté, p. 22 et ss.
Jean-françois Bossy, Enseigner la Shoah à l’âge démocratique, Ed. Colin, 2007. Chapitre 2 et 6, p.60 et ss., et p. 164 et ss.
Jean-Louis Déotte (sous la direction de ), L’époque de la disparition, L’Harmattan, 2000, p.53-59.
Victor Klemperer, L.TJ. (Lingua tercii imperii), Chapitre 26 “La guerre juive”, Pocket-Agora, 1998, p.227 et ss.
Au sujet de Shoah, ( autour du film de Claude Lanzmann) in Ed. Belin, 2001, p.55 et ss.
Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, Ed. La découverte, 2005.
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